
1 LA CHAUVE-SOURIS ET L’HIRONDELLE.
En ces temps-là, la forêt était dense et effrayante.
Il y avait beaucoup d’herbes et d’eau pour les animaux sauvages.
La brousse était un territoire organisé avec ses règles de fonctionnement qui assuraient à chacun une certaine sécurité.
Le seul problème était le manque de liberté totale dans la mesure où tout n’était pas autorisé.
La liberté de mouvement de la population était limitée surtout en saison hivernale.
Cette restriction de liberté d’aller partout dérangeait le sommeil d’un homme, qui d’ailleurs, la trouvait très grave.
Le roi des oiseaux avait fait semer son vaste champ.
Pour éviter que les gens ne marchent sur son champ et empêcher ainsi ses semences de bien pousser, il interdit à tout le monde de le traverser.
Disons que cette décision du chef n’étonnait personne et ne dérangeait non plus personne puisque cela était ainsi depuis la nuit des temps.
Tout le monde y obéissait.
Cela était également un signe de respect à l’égard du souverain qui, en contrepartie, assurait la sécurité de tout le monde.
Cette année encore, la tradition était de rigueur mais une seule personne la trouvait de trop.
Elle comptait donc désobéir.
C’était la chauve-souris.
Comme c’était toujours un grand risque de s’opposer seul, elle entreprit de se trouver un complice qui n’était autre personne que sa grande ennemie, l’hirondelle.
C’est ainsi que Yoara, la chauve- souris, alla voir Tunda, l’hirondelle et lui tint ces propos :
« Tu vois, ma chère seule amie de la forêt, le chef exagère chaque année avec sa décision de ne pas traverser son champ.
J'ai envie de ne pas la respecter parce que je trouve que le chef fait obstruction à notre liberté de mouvement.
D’ailleurs cela représente un signe de grande dictature.
Or la dictature, nous devons la combattre avec toutes les énergies dont notre corps et notre esprit disposent.
Veux-tu être mon alliée ?
Si nous réussissons, nous deviendrons deux figures emblématiques qui auront apporté à notre peuple le changement dont il a besoin ».
À ce discours quelque peu révolutionnaire et convainquant, la dame hirondelle tomba sous le charme de la noblesse de l’entreprise mais resta encore perplexe car à y penser aux conséquences, c’était un véritable acte de suicide.
Alors, elle répondit, mais ainsi :
« Il ne faut surtout pas rêver mon amie.
Tu sais bien que c'est devenu une coutume pour nous et en tant que telle, on ne s’y oppose jamais.
Sinon, ce sont les autres qui indiqueront aux générations futures nos tombes.
Et d'ailleurs, je ne vois pas en quoi le chef est méchant.
Il nous invite seulement à ne pas empêcher ses semis de pousser ».
« Qu’il aille en brousse cultiver s'il est aussi travailleur que cela.
Ici nous sommes libres et nous voulons jouir de notre liberté en nous transportant partout où nous voulons nous y rendre.
Et ce n'est pas un chef paresseux comme le nôtre qui va nous en empêcher.
Toi aussi, réfléchis encore un tout petit peu et tu verras que j'ai parfaitement raison », répliqua Yoara.
Elle ajouta :
« Passons à l'acte.
Viens, nous allons ensemble traverser des aujourd’hui cette fameuse zone interdite du chef et tu verras que nous deviendrions des héros ».
Tunda refusa.
Mais pas pour longtemps car non seulement elle manquait d'arguments mais elle était aussi séduite par la force de l’argumentaire de son ennemie qui voulait en fait lui jouer un sale tour.
Les deux allèrent défier le chef en traversant en plein jour son fameux champ.
Les autres habitants qui les ont vues, disaient qu'elles avaient fini de vivre et qu’elles venaient de signer leur propre arrêté de mise à mort.
À peine qu’elles aient atteint l’autre côté du champ, elles furent accueillies par les gardiens armés de gourdins et de flèches.
Elles firent immédiatement conduites au palais où une sentence fatale fut prononcée.
Le chef décida que dès le lendemain, les deux provocatrices soient exécutées à la place publique pour que cela serve d’exemple de dissuasion aux éventuels postulants.
C’est sans force et sans défense qu’elles furent amenées dans une prison pour attendre le jour-j.
Si pour Tunda l’hirondelle, c’était vraiment un regret, pour le comploteur Yoara, le piège était en train de bien marcher parce que son objectif principal était de nuire à son ennemie qu’elle feignait d'appeler son amie.
Elle était plutôt contente car elle avait échafaudé un plan pour tuer son ennemie et apparemment tout semblait baigner dans l’huile.
Dans la prison, au beau milieu de la nuit, Yoara se mit à pleurer et à crier en se tordant de douleurs de son œil droit.
Elle attira ainsi l’attention des gardes qui vinrent lui demander ce qui se passait.
Elle expliqua tout en se tordant de plus bel de douleurs que son œil lui faisait très mal et cela l’empêchait même de dormir.
Les gardes lui ordonnèrent de se taire et repartirent dans leur retraite.
Une minute après, Yoara se mit à crier plus fort.
Les gardes revinrent et lui tinrent ces propos :
« Si tu recommences encore, nous allons t’enlever l'œil malade pour que tu nous laisses nous reposer.
Dans tous les cas, cela ne change à rien puisque tu seras tuée demain dès l'aube ».
Cette décision des gardes était une vraie aubaine pour Yoara et elle lui permettait de faire un notable progrès dans son plan.
En effet, dans la décision du chef, il avait été dit qu'elles devaient verser leur sang pour payer la désobéissance.
Pour Yoara, en se faisant enlever un œil, quand l’heure de l’exécution serait venue, le chef dit :
« Ayant déjà versé ton sang tu es libre ».
Bornée dans cette logique, Yoara se remit à crier de vive allure et de forte voix irritant ainsi les gardes.
Ils arrachèrent alors l’œil de Yoara.
Lorsqu’ils repartirent, Yoara se tourna vers Tunda et dit :
« Mon amie, moi au moins j’ai la chance d 'être relâchée demain.
J'ai déjà versé mon sang.
Mais pour toi, je ne peux en dire autant.
Notre projet risque de t’emporter et c'est vraiment avec regret que tu me quitteras demain pour l'au-delà.
Je suis vraiment déçue que cela se termine de cette façon.
Maintenant, si tu as une dernière volonté à transmettre à ta famille dis-la moi tout de suite et demain, quand je serais libérée, j'irai directement la lui dire car ce sera la seule chose que je pourrai faire pour te rendre hommage.
»
C’est en ce moment seulement que l’hirondelle comprit qu’elle était l’objet d’une farce qui pouvait lui coûter la vie inutilement.
Mais sans paniquer, elle remercia Yoara et lui rassura qu’elle n'avait pas de dernière volonté car pour elle tout est entre les mains de Dieu qui est le plus grand juge et qui ne se trompe jamais.
Yoara insista encore mais l’autre resta stoïque.
Comme la nuit porte conseil, le chef au cours de la nuit essaya d’examiner l’acte des provocatrices et tira une leçon :
« Si ces deux ont agi ainsi, c’est que, c'est l'expression d 'une plainte commune.
Comme personne n'a eu le courage de me la dire en face, ces deux-là sont les plus courageuses et méritent plutôt une décoration au lieu du châtiment.
Elles ont osé exprimer très haut ce que les autres murmuraient très bas.
Ma décision est catégorique, je vais les libérer ».
Le matin, pendant que tout le monde s'était rendu au palais pour assister à la séance d’exécutions, le chef rendit sa décision publique et ordonna aux gardes de libérer les prisonnières.
Quand les gardes annoncèrent aux prisonnières la décision du chef et leur ordonnèrent de partir parce que désormais libres, pendant que Tunda remerciait et demandait aux mânes de ses ancêtres de prolonger la vie de leur vigilant chef, Yoara manifestait un signe de mécontentement.
Elle demanda aussitôt à voir le chef.
Quand ce dernier la reçut, il écouta attentivement sa plainte qui se résumait à ce que le chef maintienne sa décision et donc d’exécuter Tunda qui pour le moment est la seule à ne pas verser son sang.
Elle montra son œil arraché en témoins du prix qu’elle avait payé pour sa désobéissance.
Le souverain comprit les manigances de cette amie perfide et ordonna de la remettre en prison.
Il se félicita de la sage décision qu’il venait de prendre et décida de donner une très belle fête en honneur de Tunda l’innocente.
Il la nomma conseillère dans son palais.
Dans les relations humaines, il y a toujours une fourberie qui anime certains esprits.
Pour ne pas en être victime un jour, il faut avec soin examiner tous les projets qui nous sont soumis car notre adhésion nous engage et nous responsabilise. Celui qui se laisse séduire par de très belles démonstrations verbales peut un jour payer de sa vie.