
9 La bête aux trois couleurs
Certains ignorent pourquoi les caméléons se déplacent si lentement. D'autres le savent, mais ne le savent pas très bien. Voici donc le pourquoi.
Il y a longtemps, très longtemps, le lion, roi des animaux, avait demandé à tous ses sujets de donner une cotisation. Chacun devait payer 3.000 F. L’hyène fut chargée de prévenir les gens. Au jour fixé, tous apportèrent la somme indiquée. L’éléphant ravi eut la mission de recueillir l'argent. Tout le monde était présent. Mais lorsque le lion prit le registre et fit l’appel des noms, il constata avec surprise et colère l'absence d'un de ses sujets. C'était Gomtioogo, le caméléon, qui n'était pas là et qui n'avait pas payé. Le lion rugit de colère :
- Qu'on aille me chercher Gomtioogo ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Je lui apprendrai à se moquer de mes ordres. Toi, l’hyène, va me le chercher.
L’hyène démarra d'un coup sec. Gomtioogo, il faut le dire, n'était pas comme les autres. C'était un bonhomme fier de lui-même, qui aimait se confier en sa petite sagesse de caméléon. Il avait entendu l'appel du roi. Il était même présent au vote, seulement il avait gardé ses deux mains en poche et s'était abstenu de voter pour ou contre.
L'hyène le trouva donc étendu dans un hamac de liane, quelque part dans la brousse.
- Eh là ! Petite bête aux yeux ronds ! Descends et suis-moi chez le roi.
Gomtioogo descendit et supplia l'hyène de le devancer pendant qu'il irait chercher l'argent chez lui.
- Où est-il ? rugit le lion dès qu'il vit l’hyène revenir seule.
- Il arrive, Majesté ! fut la réponse.
Or, Gomtioogo ne revint pas. Il s’en était allé à ses occupations. Alors, le roi donna l'ordre de fouiller la brousse. Quiconque trouverait Gomtioogo devrait l'amener au Palais pour qu’il soit pendu. Il y eut grand tapage dans la brousse. Certains se réjouissaient à l'idée d'assister à la pendaison d'un caméléon. D’autres avaient peur, car si Gomtioogo n'était pas retrouvé, toute la brousse aurait à subir la colère du roi.
Heureusement, on retrouva Gomtioogo au bord d'une rivière. Insouciant du danger qui le guettait, il était assis au bord de l’eau et pêchait calmement. »
L'hyène empoigna Gomtioogo et son hameçon, en criant :
- Sale petit pêcheur ! C'est à ton tour d’être pêché. Viens voir le roi.
Voilà donc Gomtioogo à la cour, devant le lion, dont les dents luisantes et la crinière dressée comme les dents d'un râteau finissaient de traduire sa colère.
- Alors toi, vilaine bête aux yeux ronds ! Te crois-tu supérieur à moi ou quoi ? Ah, ça ! Tu vas le payer !
Gomtioogo se jeta à terre, pleura et supplia le roi de lui laisser le temps de s'expliquer. Comme il versait de vraies larmes, des larmes de caméléon, le lion le lui permit.
Gomtioogo prit la parole et dit :
- Majesté, chers seigneurs et collègues ici présents, qu'il me soit permis en cette splendide matinée ensoleillée de vous faire part du problème crucial qui est le mien. Croyez-moi, Majesté, chers collègues et seigneurs, je ne suis qu'un innocent dans toute cette affaire. Je n'ai jamais entendu mot concernant la dite cotisation. Or comme la providence a voulu que nous, caméléons, soyons identiques à l'exception de notre couleur, aussi vrai que la terre est ronde, vous m'avez confondu avec mon cousin qui lui, est gris. Or moi, je suis vert. Laissez-moi donc aller chercher les 3.000 F maintenant que je suis informé de la chose.
L'hyène avoua qu'en effet le premier caméléon qu'elle avait vu était gris. Donc on laissa aller le caméléon. Mais on ne le revit plus. Le lièvre inquiet alla demander conseil à la tortue. La tortue lui apprit que les caméléons pouvaient changer de couleur selon le lieu où ils se trouvaient et passer ainsi pour un autre caméléon. Le lièvre en informa le lion. Le lion n'en revenait pas. Lui, un roi, se laisser duper par une sale petite bête aux yeux ronds ! Il ordonna qu'on aille le chercher. De nouveau on se lança à la recherche de Gomtioogo. Deux heures après, on le découvrit derrière un buisson en train d'arroser son jardin. Mais là, Gomtioogo était jaune, tout jaune. L'hyène se précipita sur le caméléon et lui donna une gifle en criant :
- Vilaine petite bête aux yeux ronds !
- Pourquoi me frappes-tu ? fit Gomtioogo. Sais-tu qui je suis ? Allons-nous expliquer chez le roi. `
Or le lièvre avait expliqué au lion ce que la tortue avait dit concernant les astuces du caméléon. Ensemble ils préparèrent le moyen de le prendre.
Lorsque le caméléon vint cette fois au Palais, personne ne se mit en colère. Il s'expliqua par le même discours, disant qu'il était jaune alors que le caméléon qui les avait trompés disant qu'il s'en allait chercher l'argent était vert. Alors, d'un ton plein de malice, le lion dit :
- Camarade caméléon, je sais que tu es innocent, c’est le caméléon vert qui nous a trompé. D'ailleurs tu es fatigué, repose-toi dans cette chaise.
Or la chaise était verte. Lorsque Gomtioogo fut bien installé, il oublia le but de sa venue et selon son habitude prit la couleur de la chaise. Quand il fut bien vert, le lion bondit sur Gomtioogo en rugissant :
- Sale petite bête aux yeux ronds ! Le caméléon qui nous a trompé était vert, or toi tu es vert. Tu vas le payer cher !
Cependant Gomtioogo parvint à s’esquiver et s’enfuit.
On se lança à sa poursuite, mais personne ne put le rattraper, tellement il courait vite. Seulement le malheur voulut qu'il traversait un champ de riz. Il se fit prendre dans un piège. On le saisit et on le ramena au Palais.
Gomtioogo n'eut plus le temps de changer de couleur. On lui donna 153 coups. Puis le lion ajouta :
- Gomtioogo ! ton secret est découvert. Tu nous trompais en changeant de couleur et te faisais passer pour un autre caméléon. Maintenant va dire adieu à ta famille, car l'heure de ta mort a sonné. Gomtioogo s’en alla, mais dans l'émotion, tout ce qu'il put dire aux siens fut qu'ils devaient toujours se méfier des pièges. A son retour, on le pendit.
Si vous voyez aujourd'hui que les caméléons se déplacent lentement, doucement, ce n'est pas pour rien: c'est pour éviter les pièges. Ils craignent de se faire prendre comme le fut jadis leur ancêtre, Gomtioogo.
Voici donc l’histoire de Gomtioogo le caméléon, telle qu'on me l'a racontée, un soir, au village. La leçon que j'en ai tirée, c'est qu'on ne peut pas être un enfant de Dieu avec un cœur double. Marcher aujourd'hui avec Dieu, demain avec Satan, être chrétien le dimanche et vivre d'une manière contraire les- autres jours de la semaine. Gomtioogo trompait le roi. Mais Dieu nous voit. Nous ne pouvons pas le tromper en jouant à prendre différentes apparences. La Bible dit : « Jusques à quand marcherez-vous en boitant des deux côtés » (1 Rois 18.21). « Choisissez aujourd'hui qui vous voulez servir » (Josué 24.15), « car personne ne peut servir deux maîtres » (Matthieu 6.24).